Le Rêveur
"Pitiiiiééé, inscrivez-vouuuus !"
Nombre de messages : 602
Age : 33
Date d'inscription : 27/09/2006
 |  Sujet: Chant III - Rhapsodia  15.07.09 15:00 | |
|  Vous l’entendez, cette musique ?On avait fini par retirer les corps du haut des remparts. Les croix nues saluaient le ciel nuageux, mais continuaient de jeter leurs longues ombres menaçantes sur la Basse-Ville et ses habitants exténués.
Les Sîns s’étaient plongés dans le silence. Moins de fêtes, moins de pillages, moins de silhouettes vives bondissant des toits pour narguer la milice. Ils semblaient contempler le rempart avec une haine froide, une haine qui attend. Les mains basses et impuissantes ; nombreux sont ceux qui savaient que leurs chefs, tous deux Etoiles, veillaient à réunir un maximum de leurs semblables pour fuir Tsel avec Andréa.
Ils refusaient cet appel : le pouvoir des Etoiles devait libérer Tsel de la tyrannie des Nobles.
Vous l’entendez ?
Des accents tristes de mandoline,
venus du fond du désert…
Lorsqu’Eliel ouvrit les yeux, il était seul. Il le sentit avec une force terrible qui le cloua sur place.
Oui, il était seul. L’Enkidu avait frappé, il le sentait comme s’ils avaient laissé sur les lieux un parfum de noirceur et de peur. Anaël n’était déjà plus, et ses deux amis avaient probablement été exécutés avec lui. Il entendait les cris – il se souvenait les avoir entendus, du fond de ses rêves. Mais il n’avait pas été là pour les aider ; il n’avait pas pu.
Le Prophète se leva, il sortit de la clinique en titubant. Des malades erraient encore aux alentours dans le fol espoir de voir réapparaître leurs médecins ; ils ne virent sortir qu’un enfant aux cheveux blancs qui tenait à peine debout, et s’en détournèrent comme s’ils avaient vu un fantôme.
Eliel tomba à genoux, sans forces. Tsel dépérissait. Il leva son regard vers le ciel. Et ses yeux s’agrandirent de terreur :
« Non ! Non ! »
Le ciel était noir et boursoufflé de nuages opaques. Depuis quelques mois, la neige grise qui s’était mise à tomber servait à discerner la nuit du jour.
« Le Ciel… pleure ? Ô Anu, parlez-moi, je vous en prie ! »
Eliel frappait le sol de son poing maigre. Il savait, au fond de lui. Il était orphelin. Quelque chose qui avait été toujours présent dans son cœur – depuis le jour où il avait vu le premier Elef – était mort, et errait dans ce ciel ravagé de désespoir. Il se mit à sangloter, étendu sur le sol.
« Non…Andréa… ! »
C’était ainsi.
Le ciel était noir, bien trop d’Etoiles étaient mortes.
Même le Guide avait succombé à la haine qu’on lui vouait.
« Ça a commencé avec les clandestins, ces fichues Corneilles. Ils ont pris le train depuis leurs villages, en ayant décidés de s’installer ici, dans la Basse-Ville. Comme si la vie n’était déjà assez difficile sans eux…Enfin bref. Ils sont menés par un barde ; eux l’appellent le Rhapsode. C’est un gars avec du charisme, c’est sûr. Il chante plus qu’il ne parle, et quand il parle, tout le monde est pendu à ses lèvres. Il mène une troupe de saltimbanques, et ils se sont installés près de la Grande Déchue. Ils font des feux le soir et dansent jusqu’à l’épuisement en chantant dans leur langue. Ils se racontent des histoires aussi. J’ai dit aux gosses de pas aller les voir. Ils sont louches, on les connaît pas. Et c’est quoi tout cet or dans leurs cheveux ? Ils se prennent pour des Nobles ?
Y’a les frères, aussi. Ça se voit qu’ils ne viennent pas du même endroit que les autres ; ils ont juste suivi le même trajet. Ouais. Différents. Au début on le les voyait pas l’un sans l’autre, puis y’a eu des Etoiles de Sîn qui ont disparues. Et Andréa est mort – d’une horrible façon. On n’a pu que le regarder brûler jusqu’à la fin. Jusqu’à ce que ses cendres soient emportées par le vent. Depuis qu’il est mort, il neige gris.
Et apparemment, l’un des deux est responsable de tout ça. Les Sîns ont récupérés la sœur – qui prétend être « héritière de la volonté du Guide », et qui a dit que son frère avait exigé le souhait de voir Andréa mourir. Ce sont de grands malades, si vous voulez mon avis. Mais voilà, ils lui font apparemment confiance : cette fille a vraiment des pouvoirs d’Etoile. C’est trop louche comme histoire, j’vous dis. L’autre, on ne sait pas ce qu’il devient. Il est toujours le bras droit du Rhapsode, mais celui-là, on dirait qu’il ne sait rien de la petite guerre qui règne à Tsel depuis un an. Mais avec le désordre qu’il a mis dans la Basse-Ville, vous pensez bien qu’il va bientôt l’apprendre à ses dépends. Bah ouais, quoi : les Sîns vont vouloir faire la peau au cinglé qui a tué Andréa. Mais il est protégé par les Korakai. Et les petites Etoiles, elles commencent à se demander si Dilmun existe vraiment, ou si du moins cet endroit mystérieux vaut mieux que Tsel…bonne question, au demeurant, non ? Bref, rajoutez dans tout ça les Miliciens et les quelques marchands d’esclaves qui viennent rafler les jeunes Korakai pour les Nobles…Moi, j’dis… Ça va vite devenir violent. Croyez-moi, je sais de quoi je cause. »
Un temps de silence. Le jeune homme sourit et s'élança dans le vide avec la nonchalance qui caractérisait les Sîns.
Ecoutez la musique,
et les nouvelles voix se mêler au chant
De l’Enuma Elish
| |
|
